Pour papi
Tes cheveux gris en bataille, ta ceinture bleue à l’envers rouge autour de la taille. Tu reste un portrait, une image à jamais figée dans mon cœur. Tu m’as vu, me répandre en pleurs. Oh ! Je n’étais pas la seule. Tes blagues toujours drôles, que tu as léguées à une bande de mômes, tes piments qui piquent, aï !, comment faisais-tu pour les manger ainsi tous les midis? Ta bonne odeur, nos futures parties de poker épiques-mais celles là ne sont jamais arrivées.
Comble du malheur, tu nous racontais des histoires, hé ho, attend ! Tu ne l’as pas fini celle-là ! Tu ne t’en souviens donc pas ? Une jeune fille, habillée en robe de moire, qui se mirait toujours dans son miroir… ah ? Tu ne sais plus la fin ? Dommage.
Je te revois recoudre mon poignet, « Mr le Docteur ! » avait crié ma mère, « Beau père ! » Toi tu étais comme à ton habitude au milieu des fleurs, en plein de béatitude devant la taille de tes tomates ou tes citrouilles. Ta douce odeur de vieux souvenir, la cire des bougies. Tu rajuste ta cravate, tu la salis avec tes doigts pleins de terre et moi je ris. Anxieux tu regardes la blessure et tu t’exclames que ce n’est qu’une égratignure, et à peine m’as tu touchée de tes mains que je me sens déjà mieux.
Mais maintenant tu m’as laissée. Seule, je ne peux pas dire abandonnée, orpheline du malheur. Quand je reviens dans la maison de ton passé, je te vois toujours là, sur ton vieux fauteuil en cuir qu’on se dispute tous maintenant, là où tu rangeais tes timbres sans prendre le temps de compter les minutes que tu y passais. Et là, ou encore là, et là, là ! Partout ! !
Puis finalement je m’en vais. Mais toi tu me suis. Des tes yeux malin, tu m’observes, tu m’aides et tu me soutiens. Un jour, moi aussi j’aurais fini. Et un jour je te rejoindrais. Et ce jour là je reverrais tes cheveux gris.