Les Portes
-« Ca-su-ffit ! articula la mère, monte-dans-ta-chambre-im-mé-di-a-te-ment !
- Très bien ! D’accord ! » répondit Jeanne sur le même ton.
Elle empoigna la poignée dorée de la porte de la cuisine et l’ouvrit violemment. Elle allait franchir le seuil de la pièce lorsqu’elle pila net. Devant elle s’étendait une vaste prairie d’herbe bleue où des vaches vertes et des chèvres rouges à trois cornes – la dernière se situant au niveau du front- broutaient paisiblement. Le souffle coupé, Jeanne referma la porte pensant qu’elle était folle. Elle lâcha la poignée dorée et se retourna vers sa mère.
- « Eh bien ? Tu montes ? » rugit celle-ci.
Jeanne ressaisit timidement la poignée dorée et l’ouvrit doucement, en tremblant comme une feuille morte. Derrière la porte un éclair blanc passa et le chat persan se précipita vers sa gamelle. Toujours tremblante, la jeune fille monta dans sa chambre. Elle eut un moment d’hésitation devant sa porte, puis l’ouvrit. Tout était en ordre : les CDs étaient étalés sur le lit, et deux ou trois sous-vêtements sûrement sales se mélangeaient aux livres à moitié ouverts, le tout jonchant sur le sol. Elle déposa les élastiques qu’elle portait autour du bras gauche, au grand désespoir de sa mère d’ailleurs, car ils laissaient une « horrible marque bleue » autour de son poignet. Puis elle se coucha, après avoir pris une douche.
Le lendemain et les jours qui suivirent, chaque fois qu’elle se trouvait devant une porte, Jeanne repensait à ce qui s’était passé quand elle avait ouvert celle de sa cuisine. Puis, l’incident ne se reproduisant pas, elle le mit sur le compte de la fatigue, de son imagination et de la colère et l’oublia.
Quelque temps plus tard, un matin au collège, alors qu’elle avait oublié les cahiers de sa classe au bâtiment A et qu’elle partait – en courant- les chercher, il se produisit une chose des plus anormales : le ciel s’assombrit d’un seul coup et la foudre tomba sur un arbre dans la cour. Puis elle revint à l’attaque, manquant Jeanne de peu. Celle-ci se mit à courir encore plus vite, paniquée au plus haut point. Et lorsqu’elle franchit la porte à double battant du bâtiment, l’ « orage » s’arrêta aussi vite qu’il était survenu. Morte de peur, se demandant ce qui venait de se passer, elle tourna à droite vers la vie scolaire. La porte était fermée. Jeanne avait la tête qui tournait – contre-coup de la peur bleue qu’elle avait eu – et ses doigts tremblaient. Elle saisit la poignée argentée de l’immonde porte jaune-canari et l’ouvrit. Tout ce qui suivit se passa alors en un éclair. Elle vit une jeune femme – vingt ans environ – qui se battait avec grâce et souplesse contre deux félins – qui ressemblait à des tigres dents de sabres croisés avec des lions et ayant récupéré quelques gouttes d’ADN de Sphinx. Les deux animaux fondirent vers Jeanne lorsqu’ils l’eurent sentie, semblables à deux jaguars couleur rouge-sang. Puis se fut le noir complet. Jeanne entendit simultanément des cris dans une langue étrangère et des sirènes d’ambulances, puis plus rien.
Elle se réveilla dans une immense chambre d’un blanc nacré. Elle avait terriblement mal à la tête et pour ne rien arranger tous ses souvenirs lui revinrent en même temps, mais dans le désordre. Elle se releva doucement en poussant ses couvertures –en satin blanc ?- et se mit à la recherche d’une porte. Celle-ci s’ouvrit au même instant -elle se situait au fond de la pièce sur le mur de droite, entre deux étagères débordantes de livres. Une fine silhouette se glissa dans l’entrebâillement. C’était un homme aux longs cheveux lisses et bruns, avec des yeux brillants de malice, couleur ambre, et une petite barbiche sur le menton. Il portait une tunique - bleu foncé avec des lys argentés – qui lui descendait jusqu’au genoux et de grandes bottes en cuir de vair. Pour finir, Jeanne entre-aperçu deux petites pointes sortant de la magnifique chevelure au niveau des oreilles. « Ca y ait ! Je suis folle » en déduit-elle. L’inconnu prit la parole :
- « Alors ? On se réveille enfin ? Tu as dormi pendant trois jours tout de même ! »
Jeanne ne comprit rien. Mais ce que disait cette étrange personne lui était familier, comme si elle avait déjà entendu quelqu’un parler cet idiome.
- « On fait sa petite timide ? Je m’appelle Ankh, je suis guérisseur, et toi ? »
Non, vraiment, Jeanne ne comprenait pas. L’homme lui décocha un grand sourire.
- « Eh bien ! Sans Anjä ces deux Dolinges t’auraient mise en charpie ! Ces bêtes là son féroces lorsqu’elles sont affamés, dommage d’ailleurs car ils possèdent de très grands Sages, mais comme ils mangeaient leurs disciples lorsqu’ils avaient faim… enfin, tu comprends quoi, les pertes finirent par être trop grandes et en le remarquant ils ne purent que s’enfermer dans leurs propre terre. Dommage, nous faisons beaucoup moins de progrès depuis qu’ils sont partis. Enfin, bon, tu as vraiment une chance extraordinaire tu sais qu’elle est été là et ….- il remarqua que Jeanne le regardait avec une expression abasourdie- et… et tu ne me comprends évidemment pas », rajouta-il en se frappant le front de sa main droite.
Il s’empara d’un bracelet doré orné d’une pierre rouge écarlate posé sur la table de chevet à gauche du lit.
- « Bien sûr, comment ai-je pu oublier, reprit-il en enfilant le bracelet au bras gauche de Jeanne, là ! Ca va mieux ? Tu me comprends ?
Le bracelet s’enfonça dans la chair de Jeanne en laissant une marque bleutée.
Jeanne hocha timidement la tête après avoir poussé un petit cri d’étonnement, une petite voix lui soufflait « Ne t’inquiète pas, c’est un rêve. Tu as dû t’évanouir devant la porte de la vie scolaire. Tout va bien, tu vas te réveiller dans ton lit, peut-être à l’hôpital, tu auras un petit cadeau de réconfort et tes parents te serreront tellement dans leurs bras que tu en auras marre, puis tu devras raconter deux ou trois fois ce qui s’est passé à tes copines et tout rentrera dans l’ordre…respire, ‘’Acunamatata’’ »
- « Qu’est ce que ça veux dire ?
- Quoi ! s’exclama Jeanne en sautant du lit.
- Oh ! Calme-toi, tout va bien…
- Non, non, là ça ne va plus du tout ! Vous avez su ce à quoi je pensais, n’est ce pas ? ça ce n’est pas normal.
L’homme leva un sourcil.
- Mais si enfin, ne…
- Au secours ! A l’aide ! se mit à scander Jeanne, Au secouuuuuuuuuuuuuuuuuuurs ! Sauvez moiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii.
- Arrête de crier comme ça, tu vas réveiller les autres ! lui intima l’inconnu.
- Ah ! Parce qu’il y en a d’autres ?
- Non ! Si ! Ecoute moi et arrête de crier s’il te plaît.
- Il ne me plaît pas ! Sauvez nouuuuuuuuuuuus ! Aaaaaaaaa l’aiiide !
- Chut, s’il te plaît……..
- Au secouuuuurs ! – l’inconnu essaya de l’attraper par la main pour la faire taire, mais il ne fit qu’envenimer les choses - au viol ! On m’agreeeeessse !
La porte s’ouvrit à la volée et plusieurs personnes aux oreilles pointues – des hommes et des femmes - entrèrent dans la pièce en un coup de vent.
- Que se passe t’il Ankh ? demanda une femme petite mais altière, habillée de blanc.
- Je ne sais pas, répondit l’intéressé d’un ton larmoyant, je lui ai posé une question et elle s'est mise à appeler au secours
- Laissez moi sortir, hurla Jeanne en regardant la femme d’un air furieux.
- Oui, ça on avait entendu, affirma un homme qui ressemblait beaucoup à Ankh qui avait enfin réussi à attraper le poignet de Jeanne qui se démenait comme un petit diable.
- Espèce de … de naufrageurs ! Pachydermes microcéphales ! Marins d’eau douce…
- Silence ! dit la femme sans élever la voix.
Jeanne se tue immédiatement.
- Tu as une attitude bien ingrate envers nous, alors que nous t’avons choyée et soignée ! On va dire que c’est la fièvre. Recouche-toi maintenant, et endors-toi vite. »
Jeanne obtempéra sans ciller. Elle n’était plus maîtresse de son corps, qui bougeait tout seul. Il regagna le lit comme un somnambule et se coucha sous les couvertures de satin. Ses yeux se fermèrent et Jeanne s’endormit.
La jeune fille reprit connaissance dans un lit aux draps rêches et au matelas trop mou. Une odeur de médicaments rendait l’air presque irrespirable. Elle ouvrit les yeux sur un plafond d’un blanc laiteux où la peinture avait presque disparu par endroit.
Elle se souvenait vaguement d’un mauvais rêve qu’elle avait fait, rien de plus.
- « Jeanne ? Tu as encore mis des élastiques autour de ton poignet, commença à s’énerver sa mère.
Cela faisait maintenant un mois que Jeanne était sortie de l’hôpital.
Elle avait reçu un cadeau de réconfort, ses parents l’avaient serrée dans leurs bras jusqu’à épuisement et elle avait dû raconter deux ou trois fois sa mésaventure à ses amies.
- Non, pourquoi ?
- Depuis quelques jours j’ai remarqué que tu avais une marque bleue autour de ton poignet gauche. »