- Maman, maman ! s'exclama le petit garçon.
- Qu'y a-t-il ? demanda la mère intriguée.
- Qui est cet homme là-bas ? demanda l'enfant.
Sur le forum se trouvait un peu plus loin, assis au milieu d'un petit groupe d'hommes, un citoyen. Il avait la peau très pâle, ce qui indiquait qu'il sortait peu, et ses yeux étaient cernés, comme s'il avait travaillé jusqu'à très tard dans la nuit et ainsi plusieurs nuits d'affilées. Il parlait calmement, et son auditoire était pendu à ses lèvres. Il souriait sereinement au milieu de la foule, le contraste était frappant. Soudain il se tourna vers le petit garçon, intrigué par ses cris. Ses yeux se posèrent sur l'enfant qui se cacha derrière sa mère, intimidé. Les yeux de l'étrange citoyen pétillaient d'intelligence et de malice. Il semblait très sage. Finalement l'inconnu reporta son attention sur la foule qui le pressait de questions.
La mère se retourna pour prendre son fils dans ses bras et le rassurer.
- Cet homme est un Sage, expliqua-t-elle. Il vit à l'écart de la vie de la citée et passe ses jours à travailler. Et parfois ses nuits aussi.
- Pourquoi est-ce qu'il travaille le monsieur ? Père dit que c'est mal de travailler.
- Mais le travail de cet homme est digne de respect. C'est vrai que les marchands sont mal vus par nous autres, citoyens, qui passons notre vie de l'otium. Le travail du Sage est essentiel au plus grand bonheur de tous. Et ce n'est pas un travail que n'importe qui pourrait faire. Il nous éclaire grâce à ses recherches. Grâce à lui on peut vivre en accord avec la Nature et nous même.
- Pourquoi il parle avec les gens ?
- C'est pour partager les fruits de son travail. Le forum est une grande place qui sert aux Sages, aux Philosophes et aux Orateurs pour partager avec les gens leurs opinions et leurs savoirs. Ainsi nous pouvons apprendre ce que nous ne savons pas.
Le garçon ne répondit pas, sa mère semblait vraiment pleine de respect pour cet homme.
- Alors c'est un gentil ?
- Bien sûr, répondit la mère en souriant.
- Comment ça vit un Sage ? il doit être triste tout seul, s'il vit loin de la citée.
- J'ai dit qu'il vivait à l'écart de la vie de la citée, mais il n'est pas pour cela coupé du monde. D'abord il a des amis, qui lui ressemblent. Ensuite il a des disciples, se sont les gens qui suivent son enseignement. Enfin il y a les gens de la citée qui viennent écouter ses discours sur le forum.
- Il doit être riche, puisque tout le monde l'aime...
- Le Sage se moque de la richesse, expliqua la femme. Il n'y a pas si longtemps un grand philosophe vécu dans un tonneau, et il vécu heureux. Avec son argent le Sage s'achète juste ce dont il a besoin. « La nourriture apaise la faim, la boisson étanche la soif, les habits protègent du froid et les murs des autres intempéries ». Le Sage ne vit pas dans l'excès mais dans la modération.
- Ca veut dire quoi ?
- Le Sage sait ce qui lui est nécessaire ou pas. Et en fonction de ça il se procure uniquement le strict nécessaire. Si tu vis avec trop de choses, tu finiras par être prisonnier de tes biens. Et lorsqu'ils disparaîtront tu seras très triste. C'est pour éviter d'être triste qu'il faut éviter de s'attacher à trop de choses.
- Mais c'est bien d'avoir ce que l'on veut !
- Pas si cela peut te rendre triste. Et il y a une autre raison. Si je ne te donne qu'un bonbon par mois, le mois où je t'en donnerais trois, tu en profiteras plus que si je t'en donnais tous les jours. Non ? Les choses rares sont précieuses.
- Le Sage c'est un peu un Dieu alors ? Ils sont immortels les Sages ?
- Non, se sont des Hommes, comme nous. Ils sont libres de toutes souffrances morales et physiques. Ils sont libres de toutes craintes face aux Dieux, à leur futur et à la Mort.
- Père dit qu'il faut craindre les Dieux ! s'exclama l'enfent en fronçant les sourcils.
- Mais les Sages ont compris la vraie nature des Dieux et ils n'en ont pas peur. La seule chose de mauvais que les Dieux peuvent apporter est la Mort selon les Sages, et comme ils n'ont pas peur de la Mort, ils n'ont pas peur des Dieux.
- Le jour où ils enverront une énorme sécheresse se sera mauvais !
- Mais comme le Sage est habitué à vivre avec le strict minimum et aura économiser cela ne lui posera aucun problème.
- Pourquoi il n'a pas peur de mourir ? Il aime pas vivre ? Il veut quitter ses amis ?
- C'est juste que selon le Sage la Mort n'est qu'un évènement comme un autre et nécessaire. Comme lorsque la Mort nous prend on ne souffre pas, et qu'après nous ne savons pas ce qu'il y a, ce n'est pas la peine de craindre quelque chose qui n'existe pas. Surtout que tous les Hommes sont destinés à mourir, c'est le cycle de la Nature.
- Mais on peut avoir très mal avant...
- Le Sage sait faire abstraction de la douleur. Il dit « Les douleurs les plus dures sont les plus courtes, et les moins fortes sont les plus longues ».
- Il fait aussi abstractions de ses sentiments alors ?
- Pourquoi ?
- Si quelqu'un le trahit, il souffrira. Alors il ne devrait pas se faire d'ami.
- Le Sage ne fait pas abstraction de ses sentiments pour autant. Il sait où réside le danger lorsqu'il accorde tel sentiment à telle personne. Lorsqu'il lui arrive un malheur, il sait que cela pouvait arriver et il l'accepte. D'aucun dise que ce n'est pas la peine de se préoccuper d'une chose sur laquelle on ne peut pas agir. De toute façon le Sage choisit bien ses amis.
- Alors le Sage est toujours heureux ?
- Oui, il vit une vie sereine et pleine d'un bonheur durable.
- Pourquoi il travaille alors ?
- Il travail pour lui, parce que le Sage ne doit pas trop se complaire dans son bonheur ni s'en vanter, sous peine de voir le bonheur s'envoler. Il travail pour appliquer les fruits de son travail. S'il partage son travail avec les Hommes c'est parce qu'il le veut, parce que ça lui fait plaisir. Le but de chaque Homme est d'être heureux. Puisque le Sage est heureux, il aide les autres à le devenir.
En marchant il s'étaient approchés du Sage qui discutait toujours avec son auditoire.
- Bonjour, dit la citoyenne pour le saluer.
- Bonjour, répondit le Sage.
- Vous intriguez beaucoup mon fils, fit-elle remarquer.
- J'ai vu, acquiesça tranquillement le Sage. Viens ici jeune homme, ajouta-t-il à l'adresse de l'enfant.
Timidement et poussé par sa mère, l'enfant s'approcha.
- Ma maman dit que vous ne faites pas attention aux choses. Moi j'aime avoir plein de choses !
- Mais si elles ne te servent à rien ?
- Si ! elles me servent toutes !, s'exclama le garçon.
La Sage sourit.
- Je vais te raconter une histoire. Il y a longtemps vivait un philosophe qui n'avait rien d'autre que ses habits. Lorsqu'un grand Empereur, Alexandre le Grand, entendit parler de ce philosophe il se dit « Il faut bien qu'il ait besoin de quelque chose. Certainement que je suis le seul à pouvoir lui offrir ». Alexandre se rendit en Grèce et alla rencontre le philosophe. Celui-ci était adossé au mur des bains et faisait sa sieste au Soleil. Alexandre dit « Citoyen, sais-tu qui je suis ? ». Le philosophe ouvrit les yeux et regarda Alexandre puis répondit « Vous êtes le Grand Alexandre ». « En effet, dit Alexendre, je suis le maître du monde. Dis moi ce dont tu as besoin et je te l'offrirais, comme récompense à ton travail ». Et le philosophe de répondre : « Je voudrais que tu te pousses de mon Soleil » car en effet Alexandre faisait de l'ombre au philosophe à cause de sa grande taille. Alors, tu as compris ?
- Oui, répondit le garçon en souriant.
- Alors maintenant viens ici que je te dise un secret.
Le garçon s'approcha encore et pencha la tête pour que le Sage parle à son oreille.
- En réalité je ne suis pas un Sage. Le Sage est une figure que nous autres, philosophes et humains, essayons d'atteindre. C'est notre modèle pour pouvoir vivre heureux. Et celui qui dira qu'il est un Sage, celui là ne le sera pas puisqu'il ne saura pas ce qu'est un vrai Sage.
Le garçon sourit et acquiesça, maintenant il avait tout à fait compris ce qu'était un Sage.
Mar 10 Aoû - 6:53