Tom et Franck ont prévu ce soir-là deux soirées intimes. Ils vont soulever, sans trop le vouloir, la grande question, alimenter le grand débat entre théâtre et cinéma… et le règleront à leur manière…
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A la ville de Chartres, « l’Acropole de la France » selon Rodin ; à Notre-Dame de Chartres, resplendissante majesté régnant sur la Beauce comme règne le Christ sur Rio – A Furia, auprès de laquelle je m’excuse qsi elle s’est sentie agressée d’une quelconque manière ;
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On aurait peine à s’imaginer contemplant depuis notre chambre Notre-Dame d’Amiens depuis notre fenêtre de chambre, 15 kilomètres au-delà des limites de la ville. La voir en entrant dans Amiens par le Nord ou par le Sud n’est possible qu’en s’aventurant sur les hauteurs de la vallée de la Somme ; les plus chanceux étant alors les habitants de l’Est de la ville, pour qui Notre-Dame est visible à plusieurs kilomètres. A Amiens, la règle est simple : pour voir toute la grandeur de Notre-Dame, il n’y a qu’un seul endroit : la limite Sud du quartier St Leu, là où les terrasses du Quai Bélu s’offrent aux touristes et aux amoureux de la musique, là où les cafés de la Place du Don répondent aux restaurants de l’autre côté de la Somme… là où trois représentations de bois ne se quittent plus du regard. Le panorama, les jours de beau temps, sont impressionnants, tous les Amiénois l’ont déjà admiré… mais rien, rien ne vaut vraiment les panoramas qui incluent Notre-Dame de Chartres.
Imaginez-vous à la fenêtre de votre chambre, orientée plein Sud, regardant, à quelques vingt kilomètres de distance, les clochers jumeaux de Notre-Dame de Chartres, celui du Nord cachant celui du Sud de toute sa haute flèche de pierre – la plus haute de France. Le panorama, à l’aube, est absolument splendide, et la faible pollution atmosphérique de la ville, dispersée par les vents qui balaient les plaines de la Beauce, le débarrasse de tout brouillard disgracieux.
Et contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer après ce moment d’imagination, Notre-Dame de Chartres n’est pas si impressionnante quand on la considère depuis son parvis. Elle l’est beaucoup moins que Notre-Dame d’Amiens, en réalité, mais elle impose en fait une rigueur, une assise sur vous qui la rend particulière : sur le parvis de la cathédrale d’Amiens, vous vous sentez tout petits : à Chartres, vous l’êtes. Notre-Dame de Chartres vous écrase, elle vous tasse, si bien que même du haut de mon mètre 90 et demi, devant ces deux joyaux de l’art gothique, j’ai quand même toujours eu l’impression d’être en fait tout petit.
Notre-Dame de Chartres domine la ville de par sa position : si elle est visible à trente kilomètres à la ronde les jours de temps clair, c’est en partie dû au fait que la colline sur laquelle elle est perchée, au bord de l’Eure, au milieu de la cité chartraine, est en fait un des points les plus hauts de la plaine de la Beauce. Amiens aurait été aussi visible si elle n’avait pas été dans l’étroite et escarpée vallée de la Somme. Un point commun cependant : elles dominent toutes deux un quartier ancien, rustique et charmant : à Amiens, il reste St-Leu, seul « vieux quartier » sauvé des deux Guerres, à Chartres, plus loin du front des deux Guerres, le centre historique s’étend bien plus que St-Leu, déroulant ses ruelles sur les flancs de la colline chartraine originelle. Se promener dans ces ruelles étroites, pittoresques et chaleureuses, presque douillettes, c’est plonger dans l’ambiance d’une véritable ville européenne, avec son centre historique commerçant et sa banlieue active et moderne. La faute aux deux Guerres Mondiales, nous, Amiénois, n’avons plus guère cette chance.
C’est à la frontière entre l’histoire et la modernité que Tom et Franck discutent, à la terrasse d’un café. Les deux lycéens, voulant oublier leur seule matinée de cours de la journée, épuisent un à un les sujets de conversation, jusqu’à ce que Tom demande :
- Tu sors ce soir ?
- Oui, j’emmène Claire au cinéma : le dernier Scorcese, ça promet d’être animé ! Et toi ?
- Eh ben j’ai prévu d’aller au théâtre…
- Voir le Feydeau ? J’ai hésité moi…
- On se le racontera, on verra bien !
Malgré leur grande amitié, les deux adolescents ne communiquaient que très peu que très peu que sur leur vie sentimentale ; les sorties, les dîners, les soirées passaient en général au premier plan, d’un côté ou de l’autre, et cela ne les gênait pas le moins du monde. Ils n’attendaient qu’une chose pour changer l’état de fait : le grand complexe aquatique construit aux limites Nord-Est de la ville, au-delà de l’aérodrome, décrié par nombre d’administrés, mais attendus par tous ceux qui y voyaient une sortie supplémentaire. Du côté de Tom, la soirée commença tôt : Emilie, sa petite amie, arriva Place Marceau à 18h30, l’heure fixée, et le couple flâna dans ces rues qu’ils connaissaient par cœur, mangea un morceau dans un petit restaurant de la Place des Halles, et rejoignit le théâtre municipal de la ville de Chartres, une réplique en beaucoup plus petit de l’Opéra Garnier, avec sa façade néo-classique, à 20h30. Le spectacle dura deux longues heures. La représentation était poussive, l’esprit de Georges Feydeau n’y était vraiment pas, et le vaudeville originel était devenu une sorte de grande farce, là où le genre demande nettement de subtilité dans l’interprétation. L’envie de suivre le spectacle quitta doucement le couple, Tom eut beaucoup de mal à se retenir de s’endormir… Emilie tint le coup, mais lorsqu’ils sortirent tous les deux, ils ne purent que critiquer la pièce.
- A ce prix-là, j’aurais préféré aller au cinéma, lança même la jeune fille à son petit ami.
Le jeune homme ne répondit pas, et pensa immédiatement à son ami. La soirée de Franck avait commencé bien plus tard, puisque la séance pour laquelle il avait réservé n’était qu’à 22h. Claire, sa petite amie, pointa en retard à leur rendez-vous Place des Epars, et ils n’eurent qu’une heure et demie pour choisir un restaurant, manger et filer au cinéma. Le nouveau Scorcese était tout en action. Ceux qui ont vu les Infiltrés savent de quoi je parle. Il ne se passa pas un seul instant sans l’image d’une arme, d’un coup de feu, d’une giclée de sang ou un insulte. Très masculin, me direz-vous… Franck se maudit, tout au long de l’heure et demi de film, d’avoir choisi seul la séance, ne s’étant pas douté de la teneur pourtant évidente d’un film de Martin Scorcese. Si bien qu’à la fin, il s’excusa même platement de son mauvais choix, et en raccompagnant Claire devant chez elle, elle lui dit :
- En fait, on aurait peut-être dû aller au théâtre…
En retournant chez lui, Franck reçut un message de son ami : « Rejoins-moi Place des Epars, je viens de laisser Emilie en bas de chez elle ». L’adolescent s’exécuta, et lorsqu’il vint à la rencontre de son ami, l’autre lui demanda :
- Alors, et ta soirée ?
- J’ai très mal choisi, pour tout t’avouer…
- Ah toi aussi ? Emilie m’a dit qu’elle aurait préféré aller au cinéma…
- Ah… Claire m’a avoué qu’elle aurait préféré aller au théâtre figure-toi…
Tom baissa les yeux, réfléchit un moment sans rien dire, puis lança :
- Une seule solution....
- Laquelle ?
- On échange ?
> La longue description du débu est un hommage que je n'ai jamais encore pu rendre à cette ville dont je suis littéralement tombé amoureux. Veuillez m'en excuser