Ola Kala

Bulle de rêves
Première surprise en arrivant : nous n'entrons pas dans un chapiteau mais dans une énorme bulle en plastique blanc. Nous nous installons sur les transats qui entourent la piste. Eh oui, pas de torticolis ce soir à force de lever la tête pour admirer les artistes dans les airs. Regarder un spectacle confortablement allongé dans un transat, avouez que c'est classe.
Pour l'instant, la lumière se limite à un faisceau à deux mètres du sol. On ne voit rien de ce qui va être le terrain de jeux des 17 trapézistes. On ne voit pas le filet et on se demande s'ils travaillent sans. Petite sueur froide.
La musique commence, ils entrent sous la bulle et gravissent tranquillement de grands poteaux de métal. Ils disparaissent dans l'obscurité, on voit tomber des minuscules flocons dans la lumière, image poétique et rêveuse qui nous fait doucement entrer dans ce monde à part. Des pieds apparaissent ensuite, appuyant sur le filet qui, sous leur poids, affleure dans la lumière.
Ces deux images sont simples, ça ne semble rien (des pieds, un filet et de la poudre de magnésie). Le résultat est pourtant d'une beauté et d'un naturel qui ne vont pas cesser de nous ravir durant les 70 mn de représentation.


Ola Kala
La lumière illumine l'espace et nous voyons enfin le sommet de la bulle où culmine une imposante structure métallique horizontale, à 12 mètres du sol. Elle est formée de deux énormes bras qui se croisent au centre ; plusieurs trapèzes et échelles y sont fixés. Les trapézistes vont effectuer leurs acrobaties dans un axe, puis dans l'autre, puis finalement dans les deux directions. Des filets verticaux encadrent l'espace.
Les figures les plus époustouflantes s'enchaînent sans jamais tomber dans la monotonie d'une démonstration de virtuosité. Le show est rythmé par une alternance de séquences, marquées par des variations scénographiques et des émotions particulières. Il y a aussi des intermèdes drôlatiques, tel ce personnage qui s'amuse à faire une glissade monumentale le long d'un des filets verticaux sur un morceau de carton provoquant les éclats de rire des petits et des grands.
C'est d'ailleurs une des grandes forces des Arts sauts que de savoir jouer avec le filet. Il n'est pas perçu comme un objet rebutant ou une contrainte ; c'est un élément du décor qui est intégré aux jeux aériens de manière imaginative.
Ola Kala ! Tout va bien ! C'est ce que signifie l'expression grecque qui a donné son titre au spectacle. Tout semble bien aller dans le monde des Arts sauts. Une chute n'est jamais dramatique : on se relève et le spectacle continue.
Tous leurs mouvements semblent naturels, évidents, ils sont beaux, et nous sommes fascinés par ce que nous voyons.


Je rêvais d'un autre monde
Ce naturel transforme leur bulle en un espace de vie le temps du spectacle. A les voir ainsi planer, virevolter d'un trapèze à l'autre, des mains d'un accolyte à l'autre, et rester suspendus dans les airs le temps de leurs périlleuses pirouettes, ils deviennent à nos yeux des créatures volantes. On les voit passer d'une partie de leur nid de métal à l'autre au moyen de cordes, comme ils le feraient de liane en liane.
Plus exactement, on les imagine comme des hommes et femmes qui vivraient dans les airs, comme si cette structure métallique était leur maison, sorte d'arbre vertigineux accueillant leur vie, leurs jeux, leurs rêves et leurs amours. Leur maquillage et leurs costumes, légers et discrets dans des teintes un peu passées, font d'eux des êtres hors du temps, hors de notre monde.
Tout nous amène dans un univers de rêve où la pesanteur est constamment défiée, où nous perdons tous nos repères pour être happés par la vie de ces êtres féériques.


Sons et lumières
L'éclairage est très travaillé, il guide notre regard d'un trapéziste à l'autre et crée différentes ambiances en phase avec la musique.
Celle-ci a été composée pour le spectacle et elle est jouée en live. D'abord, on ne voit pas les musiciens. Puis, l'éclairage changeant, un violoncelle suspendu m'attire l'oeil. Oui, les musiciens sont en l'air, eux-aussi à 12 mètres au-dessus du sol. La musique est envoûtante, mystérieuse, belle, tour à tour orientale, lyrique ou électro-dub, la chanteuse passant d'un registre à l'autre avec brio. Ces compositions ont le pouvoir de stimuler notre imagination et de nous rendre encore plus réceptifs au spectacle.
Il faut dire que la musique est en parfaite adéquation avec les évolutions aériennes des trapézistes, telle une chorégraphie minutieusement orchestrée. On a souvent parlé de ballet aérien à leur sujet et c'est pertinent tant le show est pensé de manière globale. Les musiciens et les acrobates ont créé ce spectacle ensemble et le résultat en est magnifique.


Loin de se limiter à une exhibition des talents des trapézistes, Ola Kala fait vivre un univers en soi, riche, contrasté et toujours cohérent. Merci aux membres des Arts sauts pour cette belle création : bien que cloué à terre, le spectateur est emmené par la musique et il voyage en rêve dans les airs. Un cadeau superbe.

Belfégore